Les caméras « augmentées » dans les habitacles des véhicules de transport de marchandises

19 novembre 2024

Les caméras équipées d’intelligence artificielle offrent de nouvelles méthodes d’analyse de la conduite ayant pour objectifs d’assister les conducteurs. Les employeurs doivent s’assurer que ces dispositifs respectent les données personnelles et la vie privée des conducteurs.

Certains employeurs des sociétés de transport souhaitent installer des caméras augmentées embarquées dans les véhicules professionnels utilisés par leurs salariés/agents. Ces caméras servent, par exemple, à détecter en temps réel la fatigue (signes précurseurs de fatigue du conducteur, ainsi que son endormissement pendant la conduite) ou une distraction (détection du regard du conducteur en dehors de l’axe de la route ou d’une action pouvant altérer la conduite telle que l’utilisation du téléphone portable, l’action de fumer, etc.).

Ces dispositifs peuvent permettre de remonter les données techniques des alertes ou des séquences vidéo vers une plateforme accessible à la société prestataire, voire à l’employeur.

Le droit au respect de la vie privée se poursuit au travail (article L. 1121-1 du code du travail). Aussi, si un employeur peut ajuster les conditions de travail de ses collaborateurs afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes, il doit veiller à ce que les restrictions soient justifiées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Compte tenu des risques élevés d’atteinte au respect de vie privée des personnes concernées, l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la conformité de telles caméras avant leur mise en place.

Quels peuvent être les objectifs de ces caméras « augmentées » ?

Les sociétés de transport, notamment de matières dangereuses, sont tenues à des obligations de sécurité à l’égard de leurs salariés mais également à l’égard des tiers, tels que les autres usagers de la route.

Les dispositifs qu’ils mettent en place dans l’intérêt d’assurer la sécurité des biens et des personnes peuvent légitimement poursuivre les objectifs suivants :

  • réduire les risques d’accidents de la route et renforcer la sécurité des personnes, des biens et de l’environnement  lors des opérations de transport ;
  • sensibiliser/former les conducteurs ;
  • évaluer les conducteurs.

La poursuite de ces finalités nécessite toutefois un équilibre à l’égard du droit à la protection des données personnelles des conducteurs, ainsi que du respect de leur vie privée.

À ce titre, les dispositifs mis en œuvre ne peuvent pas conduire à surveiller en continu les salariés sur leur temps de travail, même pour les finalités précitées.

Ces systèmes étant particulièrement intrusifs, des conditions doivent être respectées pour assurer leur proportionnalité.

Quelle base légale faut-il mobiliser ?

Seul l’intérêt légitime de l’employeur apparaît susceptible d’être mobilisé pour ces dispositifs. En effet :

  • en l’absence de texte imposant de tels dispositifs, il n’est pas possible de fonder le traitement sur l’obligation légale ;
  • le recueil du consentement libre, spécifique, éclairé et univoque des personnes concernées, c’est-à-dire des conducteurs salariés n’apparaît pas possible en raison du lien de subordination avec la société ;
  • un tel dispositif n’apparaît pas strictement nécessaire à l’exécution du contrat de travail des conducteurs ; et
  • ce type de traitement, mis en œuvre le plus souvent par des sociétés privés de transport, ne concerne ni la sauvegarde d’intérêts vitaux, ni l’exécution d’une mission de service public.

Aussi, un dispositif de caméra augmentée interne (filmant un espace privé - l’habitacle du véhicule), peut, sous certaines conditions, être mis en œuvre sur la base de l’intérêt légitime de l’employeur à assurer la sécurité des biens et des personnes.

Les garanties à mettre en place par l’employeur doivent permettre d’assurer le caractère nécessaire du dispositif et l’équilibre entre les droits des personnes et les intérêts de l’organisme.

Quelles garanties l’employeur peut-il mettre en place ?

Quelles données ?

Seules les données nécessaires à générer l’alerte en temps réel (images de la personne) peuvent être traitées. En revanche, après l’alerte, ni les images, ni les données techniques (horodatage, géolocalisation, type d’alerte) générées dans le cadre de l’alerte ne doivent en principe être conservées.

Dans l’Union européenne, les dispositifs d’avertisseurs de somnolence et de perte d’attention du conducteur et les systèmes avancés d’avertissement de distraction du conducteur sont nécessaires pour les véhicules de transports et de marchandises et doivent être installés dans les nouveaux véhicules depuis juillet 2024 (règlement UE 2019/2144).

Néanmoins, ce règlement précise que ces systèmes doivent fonctionner en circuit fermé et ne pas permettre l’identification des conducteurs (ni l’employeur, ni le prestataire de la solution ne doivent y accéder, sauf les personnes habilitées pour assurer le support technique).

La formation et la sensibilisation des salariés peuvent justifier la collecte de données techniques liées aux alertes et leur transmission à l’employeur, à condition qu’il démontre la nécessité d’y accéder au regard de la nature des actions de sensibilisation et de formation concrètement mises en œuvre.

Pour qui ?

En application du principe de minimisation qui exige que les données collectées soit adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire, les caméras augmentées ne peuvent être installées que pour les postes où le risque d’accident et les conséquences sont particulièrement élevés (le transport à temps plein de marchandises dangereuses par exemple).

Comment ?

Les garanties que l’employeur doit mettre en place dépendent du contexte de la collecte et plus particulièrement de la balance entre les intérêts : droits et libertés de l’employeur d’une part, et ceux des collaborateurs d’autre part.

Aussi, afin d’éviter une surveillance permanente, l’employeur pourra par exemple décider de :

  • ne collecter des données personnelles que durant des périodes spécifiques d’évaluation des chauffeurs ;
  • ne collecter qu’une donnée agrégée correspondant au nombre de situations à risque rencontrées par un chauffeur sur une période donnée ;
  • ne déclencher la remontée d’information qu’à partir d’un certain seuil d’événements détectés ;
  • etc.

Quelles données ?

Les catégories de données collectées doivent être déterminées au cas par cas selon l’objectif poursuivi et les garanties mises en place. Par exemple, en cas de remontée anonyme des alertes de tous les conducteurs, le numéro de plaque d’immatriculation du véhicule, les données d’horodatage de l’alerte ne peuvent pas être collectées, ni bien évidemment les images.

Dans tous les cas

Quel que soit l’objectif poursuivi, l’employeur doit démontrer de manière documentée en quoi les données sont nécessaires pour assurer la sécurité des biens et des personnes afin de permettre leur enregistrement.

À ce titre, l’employeur pourrait s’interroger sur l’efficacité de tels dispositifs et l’exactitude des données collectées afin de démontrer la pertinence des dispositifs envisagés pour assurer, de manière effective, la sécurité des personnes et des biens et la formation des conducteurs.

Cela est d’autant plus important que des erreurs du dispositif peuvent avoir des conséquences négatives importantes pour les conducteurs salariés puisque les données sont susceptibles d’être prises en compte pour fonder des décisions disciplinaires à leur encontre.

Par ailleurs, les conducteurs doivent pouvoir exercer leurs droits sur leurs données personnelles auprès de l’employeur (droit d’accès, droit d’opposition, etc.).

L’employeur doit également informer les parties prenantes :

  • Les salariés doivent être informés des modalités du contrôle et du traitement de leurs données personnelles. Si ces données peuvent être utilisées à des fins disciplinaires, ils doivent également en être informés (par exemple en l’indiquant dans le règlement intérieur) afin d’être en mesure de déterminer à l’avance l’étendue et les conséquences du traitement.
  • L’employeur doit informer et consulter avant la décision de mise en œuvre du dispositif :
    • dans les entreprises de plus de 11 salariés, le comité social et économique (CSE) ;
    • dans la fonction publique, le conseil social d’administration.

Il doit en outre s’assurer que l’orientation de la caméra ne permette pas de filmer d’autres personnes, telles que d’autres conducteurs ou des passants visibles à travers la fenêtre.

Enfin, la réalisation d’une AIPD est la plupart du temps nécessaire et recommandée, même lorsqu’elle n’est pas obligatoire, compte tenu du risque particulièrement important d’atteinte à la vie privée des conducteurs et des critères établis par le Comité européen de la protection des données.