L’enregistrement des conversations téléphoniques afin d’établir la preuve de la formation d’un contrat
De nombreux professionnels souhaitent conserver l’enregistrement d’un échange téléphonique avec un consommateur afin d’établir la preuve de la formation d’un contrat. Dans quelles conditions cet enregistrement peut-il être réalisé ? Quelles sont les garanties à apporter, notamment aux personnes concernées ?
Quelles utilisations possibles ?
L’enregistrement de conversations téléphoniques à des fins de preuve de la formation du contrat est autorisé, sous réserve d’être nécessaire. Ainsi, un organisme souhaitant enregistrer des conversations téléphoniques à des fins probatoires doit, en tant que responsable de traitement, démontrer qu’il ne dispose pas d’autres moyens pour prouver qu’un contrat a été conclu avec la personne concernée.
Ainsi, il est nécessaire de distinguer les contrats qui peuvent être conclus à l’oral de ceux pour lesquels l’accord doit nécessairement se matérialiser par un acte écrit.
Le principe général
L’enregistrement doit être nécessaire pour prouver la formation du contrat
Pour les contrats écrits, l’enregistrement n’est pas nécessaire afin d’établir sa conclusion, celle-ci pouvant reposer sur la production des documents imposés par la loi.
Par exemple, le code de la consommation prévoit que, lorsque le professionnel contacte un consommateur par téléphone en vue de conclure un contrat portant sur la vente d'un bien ou sur la fourniture d'un service (article L. 221-16 du code de la consommation), ce dernier n'est engagé par cette offre qu'après l'avoir signée et acceptée sur un support durable. L’enregistrement des conversations téléphoniques à des fins de preuve de la formation du contrat n’apparaît donc pas nécessaire dans le cadre du démarchage téléphonique.
Pour les contrats pouvant être souscrits à l’oral (ex. : achat d’une prestation de visite culturelle payante), si l’enregistrement de conversations semble possible, le principe de minimisation des données doit, en tout état de cause, être respecté.
À cet égard, sauf dispositions légales le permettant, les enregistrements ne peuvent être ni permanents ni systématiques.
Seules les conversations portant sur la conclusion d’un contrat par voie téléphonique peuvent être enregistrées. Le professionnel devra ainsi prévoir des mécanismes afin de n’enregistrer la conversation téléphonique entre le téléopérateur et le consommateur qu’à partir du moment où son objet porte clairement sur la conclusion d’un contrat. La partie pertinente de la conversation ne peut être conservée qu’en l’absence d’une autre modalité de preuve de la formation du contrat ou de son exécution, telle qu’une confirmation écrite.
L’enregistrement d’une conversation téléphonique ne peut être déclenché par défaut, de manière automatisée, pour tous les appels téléphoniques et pour l’intégralité des conversations. Concrètement, le téléopérateur pourrait notamment déclencher manuellement l’enregistrement, uniquement dans le cas où la conversation a pour objet de conclure un contrat ne pouvant être prouvé par un autre moyen.
Un traitement de données personnelles qui peut être fondé sur l’exécution du contrat
Lorsque les personnes acceptent de contractualiser par téléphone, les enregistrements des conversations téléphoniques peuvent être traités sur le fondement de la base légale du contrat (article 6.1.b du RGPD). L’information sur la possibilité, lorsqu’elle existe, de conclure le contrat par d’autres moyens (en agence, en ligne, par voie postale, etc.) est donc indispensable pour que l’enregistrement puisse être considéré comme nécessaire au contrat.
La collecte de données bancaires : un point de vigilance
Lors de la souscription à un contrat par téléphone, les consommateurs peuvent être amenés à communiquer des données bancaires (numéro de la carte, date d’expiration et cryptogramme visuel) qui sont parfois enregistrées comme l’ensemble de la conversation téléphonique des conseillers clientèles.
Lorsque ces données bancaires sont, par ailleurs, saisies par les conseillers dans une plateforme de paiement sécurisé, l’enregistrement téléphonique de ces données n’est pas nécessaire à la bonne exécution du paiement. La CNIL recommande donc la mise en place d’un dispositif permettant d’interrompre ou de supprimer rapidement l’enregistrement de la conversation téléphonique au moment où le consommateur prononce ces données.
Exemples d’enregistrements prévus par la loi
Dans certains cas, l’enregistrement de telles conversations est prévu expressément par la loi, et notamment dans des cas précis s’appliquant à certains professionnels du secteur financier et des assurances :
- L’article L. 533-10-5 du code monétaire et financier impose aux prestataires de services d'investissement de conserver un enregistrement des transactions qu'ils effectuent, afin de permettre à l'Autorité des marchés financiers (AMF) de contrôler le respect de leurs obligations, en particulier à l'égard de leurs clients ;
- L’article L. 112-2-2 du code des assurances impose aux distributeurs d'assurances le respect d’obligations en matière de démarchage, parmi lesquelles, l’enregistrement, la conservation et la garantie de la traçabilité de leurs communications téléphoniques. Ces enregistrements permettent à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ainsi qu’à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de contrôler le respect des obligations incombant aux démarcheurs, notamment en matière d’information des clients. Le décret n° 2022-34 du 17 janvier 2022 relatif au démarchage téléphonique en assurance prévoit les modalités de conservation de ces enregistrements.
Les règles pour protéger les droits des personnes
Informer les personnes concernées
Les personnes concernées par l’enregistrement (prospect, client, salarié, prestataire) doivent être informées de façon concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples, de la manière dont sont traitées les données les concernant.
Lorsque l’enregistrement est possible, et afin qu’il respecte le RGPD, le professionnel doit indiquer aux personnes concernées :
- l’existence du traitement ;
- l’identité du responsable de traitement (raison sociale et coordonnées du professionnel) ;
- l’objectif poursuivi (la finalité), dans ce cas la conservation de la preuve de l’existence du contrat conclu ;
- la base légale du traitement (obligation issue d’un texte légal, par exemple) ;
- les destinataires des données ainsi collectées ;
- la durée de conservation de ces données ;
- leur possibilité de s’opposer à l’enregistrement, sous certaines conditions ;
- les modalités d’exercice de leurs droits d’accès et de rectification ;
- la possibilité d’adresser une plainte à la CNIL.
La CNIL recommande que cette information s’effectue en deux temps :
- par le biais d’une mention orale, en début de conversation, faisant état de l’existence du dispositif, de la finalité poursuivie, de la possibilité éventuelle de conclure le contrat par d’autres moyens n’impliquant pas l’enregistrement de la conversation (en agence, en ligne, par voie postale, etc.) et du droit de la personne d’accéder aux enregistrements téléphoniques (voir ci-dessous sur le droit d’accès).
- par un renvoi vers un site web (et un onglet « mentions légales » par exemple) ou une touche « mentions légales » sur le téléphone pour obtenir une information exhaustive.
Focus sur le droit d’accéder aux enregistrements téléphoniques
Les personnes concernées par l’enregistrement téléphonique (notamment le consommateur) peuvent, à tout moment, y accéder, conformément à l’article 15 du RGPD. Elles doivent également être informées de ce droit, comme rappelé ci-dessus.
Limiter l’accès aux conversations aux seules personnes habilitées
L’accès aux conversations enregistrées doit être limité aux services concernés par l’objectif poursuivi.
Ainsi, les enregistrements téléphoniques mis en œuvre à des fins probatoires ne doivent être accessibles qu’aux personnes compétentes dans le cadre de la gestion amiable ou contentieuse des litiges avec les consommateurs (par exemple le service consommateurs, le service clients, le service chargé du règlement des litiges, le médiateur, etc.).
Sécuriser les données personnelles
Afin d’éviter que des personnes non autorisées n’accèdent aux informations qu’elles n’ont pas à connaître, il est impératif de prendre des mesures de sécurité.
Ainsi, le professionnel doit notamment mettre en place des habilitations régulant l’accès aux enregistrements, incluant des modes de traçabilité informatique des actions effectuées et permettant de savoir quel salarié accède aux enregistrements et à quelle date.
Point de vigilance
Différentes règles peuvent s’appliquer lorsque les enregistrements téléphoniques poursuivent plusieurs objectifs qui doivent être clairement définis (enregistrement ponctuel à des fins de formation, d’évaluation des salariés et d’amélioration de la qualité du service, enregistrement à des fins de preuve de la formation d’un contrat).
Dans la mesure où les données traitées, la durée de conservation de celles-ci et les personnes habilitées à y accéder sont amenées à varier en fonction des objectifs poursuivis, la mise en place d'une séparation physique ou logique des bases de données est de nature à assurer le respect des principes posés par le RGPD.
Limiter les durées de conservation des enregistrements
La durée de conservation doit être limitée et est parfois prévue par un texte spécifique. Une politique d’archivage et de purge des données doit être mise en place, conformément aux durées de prescription de l’action en contestation du contrat prévues par la loi.
Cette durée dépend de la nature du contrat conclu. Le délai de prescription de droit commun est de cinq ans.
Désigner un délégué à la protection des données et tenir un registre de traitements
Si le responsable de traitement a désigné un délégué à la protection des données (DPO), ce dernier veille à la mise en œuvre conforme des enregistrements de conversations téléphoniques.
Le dispositif d’enregistrement doit, dans tous les cas, être inscrit au registre des activités de traitement tenu par le responsable de traitement.
Quels sont les recours possibles ?
Si un dispositif d’enregistrement ne respecte pas les règles précitées, vous pouvez :
- adresser une plainte à la CNIL ;
- saisir le procureur de la République ;
- introduire une requête en indemnisation si vous estimez que l’enregistrement et son utilisation vous ont porté préjudice.
Les textes de référence
- Article 9 du code civil (protection de la vie privée) - Légifrance
- Article 2224 du code civil (durée de prescription civile de droit commun) - Légifrance
- Article 226-1 et suivants du code pénal (protection de la vie privée) - Légifrance
- Articles 226-16 et suivants du code pénal (atteintes aux droits des personnes résultant des traitements informatiques) - Légifrance
- Règlement général sur la protection des données
- Loi Informatique et Libertés
- Article L.533-10-5 du code monétaire et financier (enregistrement des transactions pour les prestataires de services d’investissement) - Légifrance
- Article L.112-2-1 du code des assurances (obligations des distributeurs d’assurances en matière de démarchage) - Légifrance
- Décret n° 2022-34 du 17 janvier 2022 relatif au démarchage téléphonique en assurance - Légifrance
- Loi n° 2008 561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile (délai de prescription de droit commun) - Légifrance